GRAINES

IL Y A DU VENT LÀ-BAS
DES ARBRES QUI SE TORDENT
DES FEUILLES QUI VOLENT
L'AIR Y VIBRE D'UNE TENSION PERMANENTE
CLAIRE ET LIMPIDE
L'AIR PLEIN DE LUMIERE
Où SE CACHENT LES MOUCHES
ET LES OISEAUX LES CHERCHENT EN CRIANT
IL Y A DE GROS FLOCONS QUI DÉROULENT LEURS LIGNES BLANCHES
ILS ZEBRENT LE MATIN DE LEUR CHUTE ANARCHIQUE
POUR RECOUVRIR AVEC TENDRESSE LA TERRE FROIDE AU DEHORS MAIS SI CHAUDE AU MILIEU
LÀ-BAS L'ÉQUILIBRE DE TOUS CES BRUITS FORME UN SILENCE LEGER
UN SILENCE DE VIE
PONCTUÉ D'UN BATTEMENT D'AILE
D'UNE AGONIE DE FOURMI
OU DE L'ACCOUCHEMENT D'UNE SOURIS
LÀ-BAS LES VACHES SE GRATENT LE DOS
CONTRE TOUJOURS LE MÊME ARBRE QUI RESISTE EN RIGOLANT
PAS TROP PARCE QU'IL A L'ÉCORSE GÈRCÉE
LÀ-BAS TU PEUX RESTER DES HEURES À TREMBLER DE FROID
SANS AVOIR ENVIE DE TE FLINGUER
PARCE QUE LÀ-BAS T'ES UN HOMME
ET PUIS C 'EST TOUT
C'EST PAS COMME ICI
ICI ON EST TOUS DES CHIENS
À RONGER NOTRE FREIN
COMME UN OS QU'ON LACHERA PAS
ET PUIS UN LÀ-BAS
S'IL EN EXISTE ENCORE
ON S'Y FERAIT ROYALEMENT CHIER
À ÊTRE UN HOMME ET PUIS C'EST TOUT
PARCE QU'ICI
C'EST PAS TOUT
T'ES UN HOMME ET T'AS MAL
PLANTÉ DANS UNE RUE
Où JAMAIS RACINE NE PREND
SEMÉ LÀ Où RIEN NE POUSSE
GRAINE POURRIE SOUS LA PLUIE
CRAQUELÉE PAR LE GEL
ET DÉLAISSÉE DES CORBEAUX
ICI N'EST PAS LÀ-BAS
IL N'Y A PLUS DE LÀ-BAS
ON EST TOUS ICI
ET ON ATTEND
ET ON SAIT
QUE çA VA ÊTRE LONG ET FROID ET SOLITAIRE
ET ON ATTEND L'AUBE EN FAISANT SEMBLANT
DE NE PAS SAVOIR QUE LE SOLEIL EST MORT
ET A INVESTIR CHAQUE FEU-FOLLET QUI PASSE D'UNE AURA DIVINE
POUR PEU QU'IL TE RECHAUFFE LA COUENNE
UNE SECONDE
L'ESPACE DE SON EPHEMERE
ALORS ON NE DIS PLUS RIEN
IL FAIT JUSTE NUIT
IL FAIT JUSTE FROID
IL FAIT JUSTE MAL
J'HABITE ICI
...........10/11/92 PARIS