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La Nausée

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Putain, les chiottes, merde, les chiottes !! Avant que je n’en mette partout !! J’ai attrapé la nana devant moi et l’ai envoyé valdinguer dans le couloir. Je l’ai entendu tambouriner sur la porte, gueuler puis s’éloigner sur ses talons au rythme de ses cuisses serrées qui n’avaient pas pu retenir le dégât des eaux. La pauvre fille au string trempé, à l'urine qui dégoulinait sur ses bas et à la jupe tâchée s’en était allée en pleurant comme une gamine, souillée par la honte. Je me suis retrouvée la gueule dans la cuvette, à éructer sous les spasmes violents de cette nausée qui ne me lâchait plus. Deux heures dans ce trou. Les genoux explosés, les mains dégueulasses de tout ce qui avait pu se trouver sur le rebord blanc. Rien. Rien n’est sorti. Pourtant, j’ai cru vomir mes tripes, ma merde et tout le reste. Deux heures. Jamais eau de chiottes n’avait été aussi salée.

Lorsque je suis sortie, je n’ai pas fait tâche, zombie verdâtre parmi les autres qui se saccadaient péniblement sur une musique qui hoquetait dans les reflets glauques de cette naze de boule à facettes. Des restes de zombies à dire vrai. Dormir. Pour une fois, dormir. C’est le gars du bar qui m’a secouée à 6h. « Allez, bouge-toi, t’as assez cuvé. Rentre chez toi, je t’appelle un taxi ». « Ça va, pas la peine, je l’ai déjà mon chauffeur ». Suffisait d’un texto. « T’es là ? Peux venir ? ».
Il est arrivé sans broncher, 1 heure après. 1 heure à me les geler sur le trottoir dans le jour naissant et les odeurs froides des égouts. Au moins, je n’avais plus envie de vomir. Dans la voiture, ce fût le silence. Lourd évidemment, à moins que ce ne soit ma tête qui l’était, lourde. Il n’a rien dit de ma nuit, encore une fois, il avait ravalé, fait abstraction. L’important ? Il était là, « toujours ».

En arrivant chez lui, j’ai pris la direction du frigo puis du canapé accompagnée de ma bière. Sauf que je n’ai jamais atteint ce foutu 3 places qui me tendait pourtant ses accoudoirs. Mon élan stoppé net par un claquement magistral à ma gauche. Mon oreille a cru se décoller et ma joue s’est enflammée. Il me tourna le dos et alla se recoucher, en me pointant du menton la salle de bain. Il avait raison, il fallait que je me lave.

De l’eau. Chaude. Très chaude. Qui longeait ma peau et qui emmenait avec elle la sueur, le sel, l’alcool, les restes des parfums des danseurs de boîte de nuit qui vous collent toujours de trop près, leur peaux et leurs sexes en avant, les larmes, les remords. Les regrets aussi. Je me suis assise dans le bac à douche exigu. Retrouver une pensée claire, urgemment, expressément. Il ne méritait pas tout ce bordel. Et peut-être que moi non plus d’ailleurs.

L’odeur du café atteignit mes narines. J’eus un sursaut. Putain, j’étais là depuis combien de temps ? Merde, l’eau était glacée. Je bondis hors de la douche en inondant le sol, incapable d’empoigner le robinet sans me faire asperger de cette eau gelée à en réveiller un mort. Il entra, et en gueulant sous l’arrosoir improvisé par mes soins, il tourna le robinet d’un geste ferme. Il me fusilla du regard avant d’éclater de rire. Dieu qu’il était beau. Dieu que je l’aimais. Il était fort, ferme, indestructible. Et il était là pour moi. Le jackpot de toute une vie. « Tu fais chier, va encore falloir que je me lave à l’eau froide ». Oh non, mon amour, je vais t’en faire chauffer de l’eau, dans toutes les casseroles de la maison, je vais, au silex, te faire un brasier dans la salle de bain qui fera de ta douche une véritable fournaise, je vais souffler mon haleine chaude sur ton corps et tu n’auras pas froid ce matin. En fait, plus jamais tu n’auras froid, mon amour. Il me couvrit de son peignoir qui portait l’odeur de sa peau. Le plus merveilleux parfum qu’une peau puisse avoir. « Va te prendre un café ». Il m’embrassa. Et je ne parle même pas du goût de ses lèvres.

Dans le salon, la bouteille de bière gisait éventrée, avec des petits reflets verdâtres éparpillés tout autour d’elle, son contenu répandu sur le tapis laissait une tâche foncée, encore humide et puante. Je lui ressemblais. J’étais elle. Explosée en plein vol, des morceaux de moi un peu partout - infoutue d’être complète – un trou béant au bas du ventre, je laissais se répandre toute ma merde collante et en imprégnais tout ce qui m’entourait. J’ai bu mon café lentement, les yeux rivés à mon double de verre. Il traversa la pièce, passant son bras au dessus du bar pour attraper un croissant et l’engloutir avec gourmandise. Yes ! Des croissants, je ne les avais même pas vu. Pendant mon roupillon dans la douche, il était descendu en acheter. Il me prit le visage entre ses mains, puis l’amena contre sa poitrine. A cet endroit-là, j’étais au paradis. « Tu es belle et forte, putain, arrête ça… Regarde-moi... » je me détachais de son corps «… je t’aime ». Pas le temps de répondre qu’il était déjà parti. En retard. Très en retard.

Avais-je bien entendu ? L’homme dont je partageais la vie, celui qui était toujours mutique sur tout ce qui pouvait ressembler à une émotion, un ressenti, un sentiment, celui-là même qui ne se dévoilait que dans ses actes – glorieux et toujours magnifiques -, celui qui était passé maître de l’esquive émotionnelle en tout genre, cet homme-là venait de me dire… je t’aime…

Coup d’œil furibard à la bouteille de bière agonisante. « Toi, sale conne, tu dégages vite fait !»